Un mot de la directrice du festival


De l'angoisse à l'espoir


Nous voici déjà arrivés à la troisième édition de ce qui est devenu un rendez-vous biennal et attendu. Et on aimerait tellement pouvoir saluer un changement de la situation en Israël-Palestine dans le sens de la paix. Hélas, malgré les effets d'annonce,  nous en semblons plus loin que jamais, et l'abcès qui empoisonne toute la vie civile et politique du Moyen-Orient n'a fait que s'étendre, allumant de nouveaux foyers de mort et de destruction.

Baisser les bras, alors ? Rien n'est plus loin de nos pensées. Au contraire, mettre plus que jamais le cinéma au service de la lutte pour la connaissance, la re-connaissance de l'Autre. Donner à voir, c'est-à-dire donner à penser et à sentir, l'oeil alimentant l'esprit et le coeur.

Mais il faut aussi élargir notre approche. Car de plus en plus la région tout entière est impliquée de manière tragique et sanglante dans cet interminable conflit. L'occupation étrangère à base de violence militaire menace gravement l'intégrité morale des peuples qui en sont victimes. La brutalité de la présence américaine en Irak a contribué à exacerber les conflits entre communautés religieuses et à plonger le pays dans une véritable guerre civile.

Mais ce qui s'est passé récemment à Gaza, le départ sur le terrain des colons israélien, loin de représenter une libération, a transformé cette région en la plus grande prison à ciel ouvert du monde: Le million de morts et demi de personnes hermétiquement enfermés et en proie aux plus dures privations, a fini  lui aussi par s'entre-déchirer, et comment pourrait-il en être autrement ?

Et puis, il y a la guerre de 33 jours durant laquelle Israël a ravagé le Liban, y faisant plus de 1200 morts et réduisant à néant la précaire reconstruction du pays après deux décennies  de guerre civile. Ceci sans compter les victimes israéliennes, moins nombreuses certes, ce n'est pas une raison pour les oublier.

Voilà donc un bilan bien sombre, et si l'on nous répète à l'envi qu'une majorité d'Israéliens souhaite la paix, ce dont je ne doute pas, encore faudrait-il qu'elle soit prête à en payer le prix. On ne rappellera jamais assez qu'un mur soulève la question : de quel côté est la prison ? Car dans leur prison dorée, certes, les Israéliens vivent dans la peur du lendemain et de l'érosion morale, alors que malgré leur présent souvent terrible les Palestiniens vivent d'espoir en leurs jeunes générations.
 
Il ne faut surtout pas céder au découragement ! Il était normal et inévitable que cette troisième édition de notre biennale élargisse la perspective vers le cinéma de pays arabes voisins, le Liban, la Syrie, l'Irak, impliqués dans ce conflit.  Mais il y aura également beaucoup de noms nouveaux parmi les réalisateurs palestiniens et israéliens. Abandonnant provisoirement les grands noms déjà connus, et que nous retrouverons ultérieurement pour en suivre la production, notre programmation de cette année fait une large place à une brillante relève de jeunes talents : les tensions politiques et les graves problèmes matériels, loin de les décourager, semble au contraire stimuler leur créativité.

Autre élément que nous avons développés : les débats et discussions autour de thèmes cruciaux, à chaque fois  illustrés par des projections en rapport : la colonisation des territoires, abordée dès la journée inaugurale de manière très forte dans "The Iron Wall" du Palestinien Mohammed Alatar ; la tragédie de Gaza, celle du Liban, mais aussi le chaos de feu et de sang qu'est devenu l'Irak, sans compter un débat sur la place des femmes dans le contexte social et politique du Moyen-Orient, sur la lutte indispensable pour l'émencipation que continuent à leur refuser tant l'Islam que le Judaïsme  orthodoxe. Mais on pourra voir aussi leur rencontre, leur rôle d'avant-garde dans le démantèlement des murs, DU mur.

Le cinéma peut certes aider à faire tomber les murs de la haine, qu'ils soient de béton et d'acier ou de préjugés et d'ignorance dans les cerveaux. Mais il y a aussi la musique, et notre rencontre sera clôturée de manière symbolique par un magnifique document," Knowledge is the beginning"  du cinéaste Paul Smaczny,sur l'Orchestre du Divan Ouest-Est, cet ensemble de niveau international unissant de jeunes instrumentistes tant arabes qu'israéliens, fondé sur un commun projet d'Edward Said , dont le souvenir demeure impérissable, et de Daniel Barenboim, ce grand artiste et humaniste, qui l'a fait acclamer aux quatre coins de la planète, et même, surmontant de grosses difficultés, à Ramallah, au coeur de la Palestine.

Et c'est plus qu'un symbole que cet orchestre ait trouvé accueil et port d'attache à Séville, au coeur de cette Andalousie (la légendaire Al Andalus), qui abrita il y a un millénaire la civilisation la plus raffinée de l'époque dans la coexistence  harmonieuse des cultures chrétiennes, musulmanes et juives.  Un exemple qui devrait nous inspirer et dont l'évocation terminera non point sur un « à quoi bon ? » mais sur un « quand même ! ».

Janine Halbreich-Euvrard
Déléguée générale


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